mauricelemarin
Ma vie de marin de commerce (Aucune place de perdue)
Aucune place de perdue
Le bulbe sur les gros
Les pétroliers de moins de cent mille tonnes de tonnage qui, au maximum de leur vitesse, atteignaient tout juste vingt nœuds (un petit peu moins de quarante kilomètres à l'heure), avaient l'étrave avant en pointe, pour fendre le sillage.
Avec les plus de cent mille tonnes, qui pouvaient atteindre des vitesses de vingt-cinq nœuds et même plus, on s'est aperçu que cette étrave pointue, plutôt que de faciliter la glisse de l'ensemble, le freinait.
On du alors pallier cet inconvénient en rajoutant sur l'avant un bulbe, sorte de gros nez énorme, disgracieux mais ô combien efficace qui, cassant la vague de devant du bateau, lui permettait de gagner un nœud, avantage énorme aux yeux des compagnies qui n'hésitèrent pas à envoyer tous leurs bâtiments non munis de ce dispositif se le faire ajouter.
Comme aucune place ne se perd en bateau, cette superficie creuse, rajoutée de plusieurs mètres cubes était utilisée comme soute auxiliaire qui pouvait: soit contenir des produits inflammables que l'on transportait de temps en temps en si petite quantité que cela ne valait pas la peine d'utiliser une grande citerne, soit en auxiliaire de cambuse*, où le maître d'hôtel y stockait de la nourriture non périssable.
Une place pour chaque chose, chaque chose à sa place.
*Cambuse : Magasin du bord où sont conservés et distribués les vivres, les provisions.
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Ma vie de marin de commerce (Le courrier)
Le courrier
Le facteur ne sonne jamais sur un bateau
Ce récit, pour tous ceux qui se demandent comment les nouvelles étaient reçues à bord, comment nous écrivions à nos proches.
En effet, dans les années soixante, pas de portable, de satellite ou d'autres moyens sophistiqués pour joindre la famille au bout du monde.
A bord, dans la coursive principale, se trouvait une immense boîte aux lettres pour que chacun, du mousse au Commandant puisse y glisser sa missive dès que l'envie lui prenait d'écrire à sa famille ou à ses proches. Cette boite n'était vidée qu'à chaque escale par le lieutenant-pont désigné pour ce travail. Le tout était remis à l'agent de la compagnie qui se chargeait de le faire parvenir. Il lui remettait en échange le sac de lettres qu'il avait reçu pour l'équipage.
Chaque marin quittant
Les nouvelles graves, urgentes, officielles étaient transmises par Senlis-radio*, seul lien entre le bord et la terre. Seuls les vieux marins connaissant bien la ligne, le nombre de jours de traversées de tel à tel port, risquaient de se faire envoyer leur courrier directement à bord, sinon le plus sûr était de dire à la famille qu'elle expédie le courrier à la compagnie en France, qui elle, se chargeait de nous réexpédier les lettres en même temps que le courrier de la compagnie.
Une petite anecdote au sujet de cet acheminement très lent de nos écrits entre proches parents.
Un jeune novice-pont est embarqué pour son premier voyage au long- court, au port du Havre. Nous partons directement pour Tahiti livrer entre autres une cargaison de chaussures que nous avions été chargé en Italie, quelques jours auparavant. La traversée dure environ trente jours, d'une seule traite. Par hasard, la veille d'arrivée à Papeete, le nono se trouve dans la coursive en même temps que le lieutenant qui vient ramasser le courrier pour l'acheminer.
Il assiste au vidage de la boîte, et tout surpris, dit à l'officier :
-"Cela ne m'étonne pas que ma mère ne m'ait pas encore répondu, toutes mes lettres sont restées la !".
Pauvre petit, il n'avait pas tout compris!
*Senlis-radio : Station radio reliant tous les navires en mer dans le monde entier, avec communication aussi bien en phonie qu'en graphie (morse).
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Ma vie de marin de commerce (Un passager nous quitte)
La planche savonneuse
Un passager nous quitte
Du temps des cargos mixtes, il nous est arrivé une bien triste aventure.
Un brave grand-père, alerte, et apparemment en bonne santé, embarque à
Sans doute après avoir tout visité ce pourquoi il était venu, ou ne possédant plus d'argent pour prolonger son périple, il décide de revenir en France, et embarque donc sur le "Ville de Rouen", cargo mixte, avec d'autres passagers. Le retour dure environ trente jours. Il n'y avait pas huit jours que nous naviguions vers le Havre, que notre papy tombe malade.
Heureusement pour le Commandant, parmi les passagers civils, un médecin généraliste est du voyage. Il ausculte le malade, et diagnostique une méningite foudroyante.
Rien à faire, même une demande urgente de secours n'aurait pas sauvé notre homme, en quelques heures il décède dans les bras du docteur.
Le Commandant demande des consignes par Senlis-radio pour savoir ce que l'on fait de ce passager encombrant. Pendant quinze jours, les autorités à terre concernées font des recherches pour retrouver une éventuelle famille réclamant le cadavre, sans résultats.
Notre papy globe-trotter semble être seul au monde, ou personne ne veut de lui. L'arrivée au Havre est dans moins de dix jours, et toujours rien. Personne à terre ne veut prendre la responsabilité de récupérer le défunt.
Ordre fut donc donné au Commandant du bateau,... de mouiller le corps, ressortant ainsi une coutume très ancienne déclarant qu'un individu décédé en pleine mer sans que quiconque ne revendique le mort, est la propriété de l'armateur qui décide d'en faire ce que sa conscience lui conseille, à savoir dans ce cas précis, l'abandon en mer, en accord avec les autorités compétentes bien entendu.
Le bosco (Maître d'équipage) fabriqua d'urgence une coupée verticale (planche solide, amarrée sur le bastingage du navire) et en présence de toutes les personnes du bord, le cercueil où notre sans-famille reposait fut lentement glissé à l'eau par le Commandant seule personne habilitée pour faire ce lugubre travail.
Ayant assisté à la cérémonie, trente ans après, j'en ai encore la chair de poule.
Paix à son âme.
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Ma vie de marin de commerce (Chacun son tour)
Chacun son tour
Comme à confesse
Les escales sur l'île de
Amarré pour plusieurs jours à
Justement, après plusieurs soirées dans l'un ou l'autre bar, j'avais remarqué une jeune Réunionnaise qui, chaque soir, emmenait chez elle un marin.
Sa méthode de recrutement m'échappait quelque peu dans les débuts, mais avec un petit peu de jugeote, j'avais fini par percer son mystère, et ô joie, je me trouvais prochainement sélectionné à mon tour.
Mais voilà, le fameux soir où je devais finir la nuit avec cette charmante jeune femme, trop content, je dus forcer un peu trop sur le punch, pour avant coup fêter l'événement, tant et si bien que, au moment fatidique, soûl comme un cochon, elle passa dédaigneuse devant moi, et, sous mes yeux, partit au bras de celui qui, seulement demain, devait me remplacer.
Comme le surlendemain nous devions quitter le port, je me retrouvais marron.
Une chute toute trouvée pour ce récit :
-" Boire ou b..., il faut choisir".
* La pauvre Madame Sylvain nous quitta prématurément. Lors d'une opération d'un cancer du sein, elle mourut sur la table d'opération.
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Ma vie de marin de commerce (Le cimetière des bateaux)
Le cimetière des bateaux
La fourmilière humaine
Tout comme le cimetière des éléphants existe en Afrique, à Singapour existait le cimetière des bateaux.
En France, après dix années de service, ou moins, si le service adéquat surveillant la vie des bateaux jugeait ceux-ci inaptes à la navigation, interdiction absolue de les remettre en circulation. Ces bâtiments étaient alors vendus à des ferrailleurs.
Malheureusement, d'autres pays que
De grosses enveloppes de pot-de-vin judicieusement distribuées aidaient beaucoup aussi à l'autorisation nécessaire.
C'est ainsi par contre, que l’on voyait quelquefois ces bateaux faire naufrage, ou pire encore occasionner des marées noires, faute de gens compétents à bord, ou de réparations sommaires voire inexistantes.
Mais revenons à nos bateaux français, rayés des listes et vendus légalement à des professionnels.
Une fois, je fus embarqué au Havre, pour emmener à son dernier voyage, à Singapour, un cargo des Messageries Maritimes qu'une société de récupération avait acheté au prix de la ferraille.
Le pilote le fit amarrer à un quai spécial, et les nouveaux propriétaires en prirent possession.
Chaque membre de l'équipage fut autorisé à débarquer avec cinquante kilos de choses diverses, pouvant évidemment être embarquées dans l'avion de retour. Il était bien sûr hors de question de se mettre à quatre ou cinq, et de ramener une chaloupe de sauvetage par exemple.
Pour ma part, je débarquais cinquante kilos de matériel électrique divers, ainsi que des outils. Encore maintenant, je travaille avec des outils marqués "E" comme électricien, qui était le moyen à bord de ne pas se mélanger avec le matériel des graisseurs, qui lui, était frappé de la lettre "M" comme machine.
Notre retour en France n'était prévu que dans plusieurs jours, nous devions en effet attendre un équipage qui, ayant effectué son temps légal de navigation, profiterait de notre avion.
Dans un premier temps, une équipe de femmes, enfants et jeunes gens s'affairaient à bord, pour démonter et descendre dans des camions, tout ce qui n'était pas ferraille: Lits, armoires, vaisselles, couverts, glaces, matériel de cuisine, boiseries diverses.
Une équipe de plusieurs dizaines de personnes, une vraie fourmilière humaine. Pas de pause, ou alors ils se relayaient sans que l’on ne les voit tellement ils étaient rapides.
Le manège ne dura que quelques jours. Quand un responsable monta à bord et estima que, effectivement, il ne restait plus que de la ferraille, alors entrèrent en scène les hommes qui, avec des groupes à acétylène commencèrent à découper le bateau en morceaux.
Un va-et-vient de camions tournait sans cesse, chargés de morceaux de tôle encore fumante. Un remorqueur poussait la carcasse sur l'avant du quai, chaque fois que les déssoudeurs le demandaient, pour faciliter le travail.
La découpe était calculée judicieusement à hauteur de la ligne de flottaison, pour ne pas que l'ensemble coule. En fin de chantier, il ne restait plus que la coque qu'une grue souleva des eaux pour que l’on puisse en toute tranquillité la tronçonner également, comme le reste.
Depuis l'instant où l'équipage quitta le bord avec ses bagages, et le moment où le dernier morceau de tôle fut chargé dans le camion, seulement deux petites semaines s'écoulèrent.
Un vrai travail de fourmi, jour et nuit, sans aucune seconde d'arrêt, les trente mille tonnes de ferraille furent débitées en morceaux de moins d'un mètre carré.
En Europe, ce même chantier aurait demandé des mois et des mois de travail, alors qu'ici, seule la nombreuse main-d'œuvre payée une misère assura la bonne marche de l'exécution de la tâche.
De mes dix-sept embarquements, ce fut la seule fois où je suivis un bâtiment naval jusqu'à ses derniers instants.
J'en garde un souvenir inoubliable.
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