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Ma vie de marin de commerce (Les clandestins)
Les clandestins
Personnes non désirables à bord
C’est-à-dire, des personnes montées à bord qui n'avaient nullement l'intention de partir naviguer avec nous, mais que des circonstances indépendantes de leur volonté les obligeaient à nous accompagner.
En Hollande, sur le M/S Ventoux, un chargement de dix mille caisses de bière nous donna l'occasion d'embaucher des étudiants, pour donner un coup de main aux dockers professionnels.
Cinq jeunes gens se portèrent volontaires pour cette mission occasionnelle, qui leur permit de se faire un petit peu d'argent de poche.
Le chef des palanquées les répartit: trois dans les cales, les deux autres sur le pont pour pointer les caisses.
Le travail dura une bonne partie de la journée, et se termina tard le soir.
Les jeunes, qui se connaissaient pourtant entre eux, se séparèrent le travail terminé sans se soucier les uns des autres.
Le cargo repartait dans la nuit et quittait l'Europe pour un périple de presque deux mois de cabotage en Afrique.
Ce n'est pas la famille qui nous alerta, le jeune homme était majeur, et devait découcher certainement de temps en temps sans inquiéter pour autant ses proches.
Voici donc après coup ce qui se passa réellement, et qui, pour cette histoire, se termina sans drame, contrairement au récit suivant.
Un des trois jeunes gens de faction dans la cale buvait bière sur bière pour étancher sa soif d'une part, et d'autre part parce que ce breuvage était la boisson nationale. Il dut en écluser pas mal car, la fatigue aidant, il s'allongea derrière des caisses pour s'offrir une petite sieste, sans apparemment inquiéter ses collègues de son absence.
Le travail terminé, les hommes remontés des cales, on ferme tout, et on part. Notre faux clandestin ne se réveille que le lendemain, dans l'après-midi.
"Sa prison" est la première cale tout à l'avant du bateau. Il a beau crier, personne ne peut l'entendre. Ne transportant pas de fret dangereux, les rondes systématiques ne sont pas obligatoires.
Au bout de quarante-huit heures, un marin travaillant sur le pont est intrigué par des bruits sourds semblant venir des cales. Il en parle au «bosco » (maître-d'équipage chef des matelots, et responsable de la cargaison) qui prend sur lui d'ouvrir les portes de cales donnant sur le pont.
Bien lui en prit, à la deuxième porte ouverte, un énergumène en sort, hurlant, tout hagard, une barbe de trois jours lui mange le visage.
On pense d'abord à un clandestin, un vrai, mais il ne serait pas sorti si rapidement dès l'ouverture de la cale, au contraire, il se serait tapi dans le fond de peur de se faire prendre.
Sans aucune résistance de sa part, il se laisse calmement emmener chez le Commandant, trop content de revoir le jour, et d'être encore en vie.
Un interrogatoire rapide nous éclaire sur son cas ; il faisait bien partie des cinq jeunes embauchés à la dernière escale.
Il est mis hors de cause sur le fait d'être considéré comme passager clandestin. Il veut dans un premier temps que l’on rassure sa famille, ce que le pacha fait aussitôt. L'armateur, alerté également et en accord avec les siens rassurés sur le sort du garçon, nous donne l'ordre de le considérer dorénavant comme un passager invité, qui devra être débarqué aux frais de la compagnie au prochain port, c'es-à-dire à l'escale vivre et courrier de Cap-Town en Afrique du sud, environ une dizaine de jours aux frais de la princesse, ce qui lui permettra de récupérer les trois jours de captivité involontaires.
Il eut tout le temps de nous expliquer comment il vécut ce qui aurait pu devenir un drame.
Le lendemain, dès son réveil après sa cuite mémorable, il ne lui fallut pas longtemps pour s'apercevoir que le bateau avait pris la mer, et qu'il lui était impossible de sortir de la cale par ses propres moyens.
Sans paniquer, il entreprit alors de taper régulièrement sur la coque avec tout ce qui lui tombait sous la main.
Seul le jour filtrant au travers des fissures des ouvertures lui permit de se guider parmi les caisses embarquées, et il ne se nourrit bien évidemment que de bière.
Pour son départ au Cap, il était devenu l'ami de tout le monde. On promit de se revoir, mais dans d'autres conditions.
Deuxième récit maintenant sur les faux clandestins, toujours aussi vrai, mais ô combien dramatique cette fois-ci.
A Curaçao, sur le M/S Blois, pendant une escale de travaux annuelle.
Le Commandant renseigné par le chef mécanicien des travaux importants à effectuer, ne pouvant être faits par les gens du bord, consignait ceux-ci sur une main courante, et quand la liste était suffisamment longue, en accord avec les représentants de la compagnie, on immobilisait le navire le temps nécessaire à la durée des travaux.
Le port du chantier n'était communiqué au bord qu'à la dernière minute, le temps que l'armateur trouve un arsenal moins cher que les autres, et surtout sur la ligne régulière du navire, pour ne pas en plus trop retarder les commandes.
Pour ce récit, nous sommes donc à Curaçao, au nord de Caracas, près des côtes du Venezuela.
Immobilisé pour une dizaine de jours, ce sont toutes les soutes à eaux douces qui furent vérifiées, nettoyées.
Une quinzaine d'ouvriers monte à bord pour assurer les travaux. On nous expliqua plus tard que le manquant à l'appel fut déclaré déserteur et recherché partout, sauf sur notre navire.
Bien au fond d'une soute d'eau douce, il se serait endormi certainement ivre, car en fin de chantier, des sirènes hurlaient très forts dans toutes les coursives pour appeler les hommes.
La cale de notre dormeur, mal vérifiée, fut verrouillée et emplie d'eau douce, pour contrôler les travaux.
Eau douce qui soit dit en passant, était justement celle dont les occupants du bateau se servaient pour la boisson, la cuisine, etc. ... (Au départ de chaque port, le plein était fait, et le bord produisait lui-même son eau douce, en cas de pénurie).
Un mécanicien machine, en vérifiant comme tous les jours les niveaux dans chaque cale, fut surpris de voir passer dans un regard en verre comme de la filasse. On mit cela sur le compte du restant de chantier de la dernière escale, et plus personne ne s'inquiéta, jusqu'au jour où, par ce même regard, défilèrent cette fois-ci des choses étranges, sous les yeux ébahis du graisseur, du chef mécanicien et enfin du Commandant appelé de toute urgence.
L'alerte fut donnée, des prélèvements furent retirés de la soute, examinés sommairement par le bord, et l'horreur nous apparut: depuis quinze jours, tout le bord, du mousse au Commandant, nous buvions du bonhomme, et oui, aussi horrible que cela puisse paraître.
Le corps, traîné dans le fond de la soute, par le roulis, le tangage, s'était décomposé plus vite que s'il était tombé dans une rivière, et les cheveux dans un premier temps (que nous prenions pour de la filasse), puis des éléments de l'individu avaient fini en suivant l'aspiration des pompes amenant l'eau jusqu'au point de distribution, par se faire voir par les niveaux de contrôle, qui servent à vérifier l'état de remplissage de cette soute à eau douce.
Heureusement qu'en fin de parcours, un filtre métallique fait office de tamis, pour retenir les corps étrangers en suspension dans l'eau car, en plus de boire notre bonhomme depuis quinze jours, nous en aurions mangé des morceaux.
Trente années après les faits, j'en parle aisément, mais sur le moment, nous étions tous paralysés par la peur. Dès le premier port, nous fûmes tous mis en quarantaine, examens sanguins et analyses diverses, on nous déclara hors de danger.
L'homme noyé devait être sain, sinon je ne vous raconte pas les maladies que nous aurions attrapées.
Mais nous autres marins, avec tous les vaccins que nous avons, les visites médicales nombreuses et sérieuses que nous subissons, personne d'entre nous ne fut indisposé par cette boisson spéciale que nous absorbions depuis quinze jours.
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Ma vie de marin de commerce (La petite culotte)
La petite culotte
Une nuit agitée
Lorsque nous n'étions pas gênés par les histoires d'apartheid au Cap*, les seconds capitaines pédés**, les escales du bout du monde étaient des plus attrayantes, lisez plutôt ce récit.
Nous sommes donc à l'Ile Maurice, pour plusieurs jours. Qui dit plusieurs jours signifie pour nous plusieurs nuits, et la nuit est faite généralement pour récupérer la fatigue de la journée.
Pour des jeunes comme nous (la moyenne d'âge est bien en-dessous de trente ans), pas question de se reposer, ou alors pas toute la nuit.
Le bord est très accueillant pour la gente féminine, et les nuits sont, dirons-nous sans exagération, bruyantes, très animées. Les coursives sont témoins de scènes d'orgies pas ou peu racontables car, ce que nous devrions faire dans notre cabine, se fait quelquefois sur le palier, ou chez les autres, qu'ils soient ou nous consentants. Bref c'est la débauche complète, mais personne ne s'en plaint.
Une nuit donc, enfin au petit matin d'une telle nuit, on frappe à ma porte, où après quelques excès, je goûtais un sommeil mérité, et surtout réparateur.
Sans que je dise entrez ou autre chose, la porte s'ouvre, et une charmante Doudou montre son joli visage.
Avant que j'ouvre la bouche, pour lui dire que non, si elle vient pour ce que je pense, elle n'aura rien de moi, vu mon état physique, elle me lance :
-"Dis Maurice, tu n'aurais pas vu ma petite culotte ?"
Un regard circulaire dans la pièce me fit apercevoir pas mal de choses: canettes de bière, fringues en vrac, bouteilles et verres sales non terminés, mais pas de petite culotte, ce qu'elle vit d'ailleurs comme moi.
-"Bon, tant pis Maurice, je vais chercher chez le bosco, le maître d'hôtel, le Commandant ou le cuisinier ".
Quelle santé !
Note de l'auteur: Je pense que cette histoire reflète le plus la maxime personnelle précitée au début du livre. (Tous les marins du monde, sont ….)
*Cap, police no gout ; Deuxième partie du blog
**Pédés, Les marchandes d’amour : Première partie de blog
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Ma vie de marin de commerce (L'officier Russe)
L'officier Russe
L'incident diplomatique évité
II était assez rare de voir des cargos russes à quai, surtout à Madagascar. Mais pour ce récit, à Tamatave, il y en avait un juste devant nous.
On aurait dit un bateau militaire, la coque vert foncé, les hommes du bord en uniforme, et les officiers, avec des galons et des casquettes. Un calme absolu régnait à bord, seulement interrompu par des sifflets annonçant telle ou telle manœuvre, tout comme nos bateaux militaires. Que devaient être chez eux les navires de guerre ?
Un après-midi, me promenant à terre avec ma ramate, je vois au loin, venant vers moi, un matelot du fameux bateau russe avec à son bras, lui aussi, une jeune indigène.
La première réflexion que je me suis faite, c'est qu'une fois à terre, il avait les mêmes libertés que nous, à savoir le droit de s'amuser et de prendre s'il en avait envie, une femme pour l'escale.
C'était mal connaître l'état d'esprit de ces gens, car sitôt cette pensée sortie de ma tête, apparut sur le trottoir d'en face un officier du dit bateau qui, voyant un de ces hommes en si charmante compagnie, ne put l'admettre et, traversant rapidement la rue, ordonna à cet homme de lui laisser la demoiselle en question.
Le jeune marin dut certainement avoir une certaine réticence à s'exécuter, car son supérieur, vexé par la non-rapidité de l'exécution de l'ordre donné, administra un violent coup de cravache au pauvre matelot, qui du coup, lâcha la fille apeurée. Elle eut sans doute peur de recevoir la même sanction, car elle se rapprocha instinctivement, consentante, près de son bourreau.
Toute cette scène se déroula sous mes yeux, et je ne pus admettre une telle injustice. Je voulais m'interposer et rendre justice à ce pauvre, obligé de se plier à la tyrannie de cet officier peu scrupuleux des principes élémentaires de bienséance.
La cravache de l'officier ne me faisait pas peur, et j'étais près à lui rentrer dedans, pour lui administrer une bonne raclée, quand le marin, remis de son coup de fouet, se jeta à mes pieds en me suppliant de ne rien faire, car réussît-il à me faire comprendre dans un mauvais français, si je corrigeais ce méchant homme, non seulement nous frôlerions l'incident diplomatique, mais surtout, le jeune marin risquait de se faire tuer, le soir, en remontant à bord.
Sa détresse l'emporta, du coup je me calmais. L'officier partit hautain avec la fille si facilement obtenue, le pauvre matelot heureux de s'en tirer à si bon compte me remercia de ne rien faire, et s'éloigna à son tour, dans la direction opposée.
Autres gens, autres mœurs !
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Ma vie de marin de commerce (Bon voyage !)
Bon voyage !
Le vol mouvementé
Le récit d'un voyage en avion qui aurait pu mal tourner, mais qui en définitive se termina avec plus de peur que de mal.
Pour le dernier voyage de ma carrière de marin de commerce sur le S/T Léda, j'avais embarqué avec mon épouse à Dubaï. Quatre mois plus tard, de retour dans ce même port, mon temps légal de navigation effectué, je me trouvais débarquant avec une dizaine de collègues.
Comme d'habitude, un minibus de la compagnie nous attendait au pied du bateau pour nous emmener à l'aéroport.
Embarquement à Dubaï sans aucun problème et, première et dernière escale d'ailleurs, Le Caire.
Une bonne demi-heure de transit, le temps de changer d'équipage, d'hôtesses, de refaire le plein de vivres et de kérosène.
Toutes ces opérations terminées, nous sommes autorisés à regagner nos places, pour un imminent départ. Un contrôleur de vol monte à bord pour une dernière inspection et, avant de quitter l'avion nous lance un aimable :
-"bon voyage".
Rien à dire pour le décollage, et en route pour
Les passagers confiants somnolaient, d'autres lisaient. Il n'y avait pas une heure que nous avions quitté Le Caire, je fus pris d'un doute quant à la direction prise par l'avion. Pour ma part, au lieu de filer droit, j'avais l'impression que nous faisions de grands cercles.
J'en étais à mes réflexions sur la bonne route prise par l'appareil, qu'une hôtesse nous parla au micro. D'abord en anglais, quelques phrases très courtes qui eurent l'air de détendre les auditeurs de cette langue. Ensuite ce qui me parut être de l'arabe, et pour finir en français.
Là, les choses se gâtèrent quelque peu pour la dizaine que nous étions, car, l'hôtesse maîtrisant mal notre langue dut se tromper dans la traduction de ce qu'elle avait à nous dire pourtant de rassurant, car voici à peu près ce que nous entendîmes :
-"Mesdames et messieurs, toute votre attention s'il 'vous plaît. Des ennuis techniques nous obligent à retourner au Caire pour réparations, nous allons essayer de nous poser dans de bonnes conditions".
Pas plus que cela, pas d'autres explications. Mon épouse se voyait déjà écrasée au sol, et se lamentait pour notre fille Céline laissée chez mes parents. Elle dut changer de couleur, car une hôtesse s'approchant de nous lui demanda la raison de cette panique, si visible sur son visage.
Elle avait l'air de parler mieux le français que sa collègue au micro/ car lorsque je lui expliquais ce que nous avions entendu, elle sourit, et nous décrit mieux la situation, ce qui eut pour effet de calmer ma femme.
Dès le départ du Caire, un appareil vital de navigation tomba en panne. Les consignes de sécurité, très strictes pour les vols internationaux, interdisaient de continuer le voyage. Ordre fut donc donné au Commandant de bord de retourner à son point de départ, mais, dans ce cas, il devait atterrir les soutes de carburant pratiquement vides, donc, les fameux cercles que j'avais remarqués lui servaient, à chaque virage, à larguer une partie de son carburant dans le désert.
Les autres passagers français n'avaient pas l'air de s'affoler, soit qu'ils avaient compris les explications en anglais, soit qu'ils n'avaient pas saisi tout le sens de la mauvaise traduction en français.
Seule ma femme apparemment eut ce jour la trouille de sa vie.
Le retour au Caire se fit sans autre incident. Tout le monde resta dans l'avion le temps que l'on embarque le matériel remplaçant le défectueux, et, le même contrôleur vint inspecter le tout au moment du départ, mais cette fois-ci, il n'osa pas nous souhaiter à nouveau bon voyage
Peut-être est-ce lui qui nous porta malchance ?
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Ma vie de marin de commerce (Le bébé passager)
Le bébé passager
Solution efficace, dangereuse, mais nécessaire
Au Havre, sur le Magdala qui, trop gros pour venir à quai, devait mouiller sur Antifer*, un embarquement de relève et de femmes de marins était prévu, mais comme nous n'avions pas de place sur Antifer, on attendait à proximité. La vedette amenant les personnes stoppe à notre hauteur et, comme dans le récit du tome un (embarquement difficile), une échelle de corde descend le long du navire pour faire monter la relève.
La situation était un peu moins délicate que dans l'autre récit, car cette fois-ci, le bateau n'avançait pas. Plusieurs personnes montèrent à bord sans difficultés, puis arriva le tour d'une femme avec un enfant dans les bras.
Impossible de la faire monter. Elle pensait embarquer sur Antifer, donc à quai, même si ce quai est métallique et artificiel.
Là, l'horreur, une échelle de corde, une dizaine de mètres à monter, rien ni personne ne pouvait l'aider. On pensa bien un moment descendre un treuil, avec un filet, mettre l'enfant dedans avec la mère et remonter le tout, mais la mère en question se mit à hurler, rien qu'à l'idée qu'elle serait mise dans un panier comme une vulgaire marchandise.
Le mari de la dame, graisseur, de garde à la machine, n'eut vent de l'histoire qu'une fois tout terminé, ce qui n'était pas plus mal, car il aurait certainement augmenté la difficulté de l'opération.
On commençait par perdre patience. Le bosco, responsable de la manœuvre, trouva la solution. Il descendit par l'échelle de corde, arriva sur la vedette, prit l'enfant des bras de la mère, ouvrit sa combinaison de travail, mit l'enfant sur sa poitrine, referma le tout, et libre de ses deux mains, remonta à bord avant que la maman se rende compte de la situation. Elle n'eut plus que la ressource de monter à son tour, pour être à nouveau avec son enfant.
Le Commandant, qui surveillait la scène depuis la passerelle, sûr de son bosco, le remercia dans la soirée, pour avoir, de sang-froid, trouvé une solution ô combien délicate, mais efficace.
* Antifer, terminal pétrolier situé à
Renseignement pris dans le dictionnaire du pétrole, de Georges Ayache, édition Le sycomore (1981).
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