mauricelemarin
Ma vie de marin de commerce (Les gaz inertes)
Incendit à bord d'un pétrolier. Impressionnant quand on esr à bord. |
Les gaz inertes
L'incendie du Magdala
-« Je ne comprends pas, vous auriez dû sauter».
Trois heures du matin au Havre, l'expert de la compagnie venu en hâte par hélicoptère avec quelques autres "grosses huiles" de
Après une explosion dans une soute lors du déchargement, un incendie s'est déclaré à bord, ne faisant que de graves dégâts matériels.
Récit complet de la cause.
Après les années soixante-dix, les pétroliers de plus de cent mille tonnes avaient obligation d'avoir une installation dite de gaz inertes.
Pour éviter les explosions lors du déchargement, il fallait envoyer dans les soutes, en même temps qu'elles se vidaient, des gaz neutres (déjà brûlés) qui, en prenant la place du combustible, évitaient les risques d'accidents.
Ces gaz, nous les avions en permanence sous la forme de fumées qui s'échappaient par la cheminée, car sur un pétrolier, la machine est toujours en marche, même aux escales.
Ces gaz dits inertes, il suffisait de les récupérer avant qu'ils ne s'échappent dans l'air, ils étaient lavés, épurés puis envoyés sous pression dans les soutes à chaque déchargement. Toute cette installation était dirigée depuis la passerelle, sur un grand pupitre de contrôle et de surveillance, sous la responsabilité du Second capitaine.
Des jauges à mercure indiquaient le niveau des différentes citernes en cours de vidange, l'envoi des gaz inertes se faisait en fonction de ces seules indications.
Un grain de sable, il ne fallut que cela pour que le bateau n'explose. Il s'était glissé on ne sait comment dans la tuyauterie sur le pupitre et, faussant les indications, trompa la vision du Second, lequel, croyant que la soute en question n'était toujours pas vidée, envoyait toujours le gaz sous pression. (A la suite de cet accident, toutes les installations ont été modifiées par des systèmes de sécurité pour que de tels cas ne se reproduisent pas).
Heureusement, les consignes de sécurité avaient été bien respectées. Au-dessus de chaque soute, sur le pont, se trouvent des "trous d'homme", orifices permettant à un individu de descendre dans la citerne pour nettoyer ou simplement visiter l'ouvrage. A chaque manœuvre, on déboulonnait chaque ouverture, seul un taquet en alliage spécial servait de fusible, et sautait en cas de surpression dans la soute, libérant ainsi la porte qui, pivotant sur une charnière, libérait le trop-plein, évitant ainsi l'explosion.
Dans la situation précise, le superflu des gaz finit par faire sauter le taquet,
La porte s'ouvrit et laissa échapper un mélange de gaz et de pétrole brut restant dans le fond. L'ensemble monta à plus de dix mètres de hauteur et retomba sur le pont sur des tuyaux de vapeur alimentant les treuils et les appareils de manœuvre de l'avant. Au contact de la chaleur, le mélange s'enflamma et la gerbe de feu remonta vers le ciel alimentée par le dégagement du trou d'homme.
Quand le danger fut écarté chacun était d'accord pour dire que si les orifices n'avaient pas été préparés, le bateau sautait comme un bouchon de Champagne.
A cette escale, en plus de la trentaine de personnes du bord, des épouses avec enfants étaient présentes, des ingénieurs pour des travaux futurs et des livreurs. Une centaine de personnes aurait péri cette nuit-là.
Pour ma part, au moment du drame, je me trouvais au plus profond de la machine effectuant un dépannage que je n'avais pas eu le temps de finir avant l'arrivée au port. J'avais bien entendu une sorte d'alarme, mais le bruit de la machine m'empêchait de comprendre l'ordre d'alerte.
Ce n'est qu'en remontant sur le pont, voyant tout le monde courir dans tous les sens, j'arrête le novice pont pour lui demander ce qui se passe.
-"Le feu, le feu sur le pont avant", me cria-t-il avant de s'éloigner plus loin.
Je n'en croyais pas mes yeux, le pont était illuminé par les flammes, on voyait comme en plein jour, il était exactement minuit.
Les secours s'organisèrent bien vite, mais impossible de faire évacuer le personnel non-naviguant, la coupée était entourée de flammes. Tous les civils avaient été regroupés auprès d'un officier-pont à la passerelle, une équipe était chargée de mettre à l'eau le chargement de fûts d'huile reçus quelques heures auparavant pour les besoins du bord, afin que ceux-ci n'alimentent pas l'incendie.
Chaque membre ayant ses propres consignes en cas de sinistre, l'incendie fut rapidement maîtrisé, si bien que lorsque les secours de terre arrivèrent, tout danger était écarté.
Une petite mise au point justement à propos des secours extérieurs. Le lendemain dans les journaux, on pouvait lire que grâce à l'intervention énergique des pompiers de la ville du Havre, une catastrophe avait été évitée de justesse. Colère du Commandant qui demanda et obtint un démenti, indiquant que les pompiers n'y étaient pour rien, le bord seul avait assuré l'arrêt du sinistre, A ma connaissance seule une radio nationale avait commenté le drame en quelques phrases.
Pour en finir, la compagnie alertée par le Commandant arriva en hélicoptère et, devant la médiatisation que l'affaire allait apporter (des cars de télévision arrivaient de partout), ordre nous fut donné de prendre la mer pour Diégo-Suarez à Madagascar, l'arsenal maritime se chargerait de nos réparations qui durèrent plus d'un mois.
De temps en temps, je me rappelle la phrase de l'expert:
-"Je ne comprends pas, vous auriez dû sauter".
Monsieur l'expert, mes deux fils vous remercient de vous être trompé.
Commentaires textes : Écrire
Ma vie de marin de commerce (Le pari)
Le pari
S/T Léda, La partie de jeu de cartes.
Nous étions trois un soir après dîner restés au bar, à vouloir jouer aux cartes, ils nous manquaient le quatrième. Passe la femme d'André, un officier machine. Nous lui proposons gentiment de se joindre à nous, elle accepte et va prévenir son mari. Pendant sa courte absence, nous échafaudons une blague, à savoir que si elle perd aux cartes, elle doit finir la nuit avec l'un de nous.
Et nous voila à jouer une bonne partie de la nuit, l'épouse ne faisait que de perdre, tant et si bien, qu'elle déclare forfait, et veux quitter la table. Je prends la parole:
-"Pas si vite, nous devons vous dire qu'ayant perdu presque toute les parties, vous êtes à l'amende".
Et nous lui expliquons que l'enjeu était l'un de nous pour la nuit.
Elle nous fit cette réponse qui nous laissa pantois:
-"Ah bon, lequel aura la chance de m'avoir pour la nuit? Décidez-vous, je vais avertir André, j'espère qu'il sera d'accord".
Que voulez vous répondre à cela? Trente années après je me demande toujours si sa réponse était sincère, ou si elle jouait le jeu.
Allez savoir!!
Commentaires textes : Écrire
Ma vie de marin de commerce (La dot d'Odette)
Troupeau de zébus à Madagascar |
La dot d'Odette
Le mariage raté
Suite à l'incendie du Magdala, les autorités de la compagnie nous envoyèrent à Madagascar dans l'arsenal militaire de Diego-Suarez.
Ceci afin d'effectuer les réparations nécessaires et pour ne pas avoir à souffrir de la médiatisation que cet événement allait nous apporter. Nous y sommes restés un bon mois. Dès les premiers jours, une charmante petite malgache partageait ma vie. (L'honneur est sauf, car cette liaison se situait entre la séparation de ma première femme, et je ne connaissais pas encore la future Madame Renard).
Trente jours d'escale, sans travail proprement dit, car les ouvriers de terre avaient pris le navire en main, tout était stoppé à bord, nous ne faisions que de la présence et de l'entretien courant. D'ailleurs, avec l'accord du Commandant, nous avions établi un roulement: quand la moitié du personnel du bord étant présent vingt-quatre heures sur vingt-quatre, l'autre moitié avait le même temps de permission.
J'étais aux anges avec ma petite qui ne me quittait jamais. Ma fonction de Maître électricien me permit de louer une voiture aux frais de la compagnie, et à chaque période de mes deux jours de congé, ma compagne me faisait visiter Madagascar. Vous raconter mes soirées intimes serait déplacé, et d'ailleurs ce récit n'a pas pour but de me vanter, encore moins de me confesser.
Toutes bonnes choses ayant malheureusement une fin, voici la chute de cette belle histoire d'amour.
Me sentant si bien avec cette jeune femme, je me surpris à lui demander sa main, elle sauta de joie, et voulut me présenter à ses parents, chose normale en pareilles circonstances, et nous voilà partis en voiture dans sa famille.
Gens charmants qui furent enchantés de ma proposition et qui m'expliquèrent en quelques mots les coutumes d'une telle demande.
Odette, c'était son prénom, pardon de ne pas vous l'avoir présentée plus tôt, était la plus âgée des enfants de la famille. A ce titre, elle avait droit, en quittant le foyer, à une dot qui représentait la moitié des biens familiaux, et joignant le geste à leurs paroles, les parents ouvrirent une porte qui donnait par derrière, et je pus voir d'un seul coup d'œil le vrai sens de la conversation que nous venions d'avoir.
Trente-deux bêtes à cornes paissaient tranquillement dans les prés, tout le bien familial, la moitié était pour moi, pardon, à nous deux, Odette et moi. Mais étant le futur chef d'une nouvelle famille, c'est à moi que revenait le cheptel. Seize zébus vivants, que voulez-vous que je fasse d'un tel cadeau?
N'ayant pas la fibre d'un Maquignon*, je me voyais mal repartir de cette maison pourtant ô combien accueillante, avec Odette à mon bras droit, et de l'autre coté, les bêtes m'appartenant désormais.
Je prétextais je ne sais plus qu'elle excuse, pris congé des parents, et mis le restant de notre séjour à expliquer à Odette que, ne pouvant offrir l'équivalence d'une telle dot, il était impossible que notre union s'éternise, ce qu'elle comprit heureusement fort bien.
*Maquignon : Marchand de bestiaux.
Commentaires textes : Écrire
Ma vie de marin de commerce (L'escale courrier)
Radeau près pour escale courrier |
L'escale courrier
Le courrier à la mer
Lorsque rien n'était prévu en escale vivres ou relève d'équipage au Cap*, nous avions la possibilité de recourir à une coutume datant de la marine à voile: -"le courrier à la mer".
Cela se passait au large des Comores. Déjà la veille, le bosco préparait un radeau sommaire fait de planches sur lequel était fixé un fût d'huile servant de réceptacle pour contenir le courrier et, bien sûr, les cadeaux de remerciement pour la personne qui récupérait le tout. Cette récompense était généralement composée de cartouches de cigarettes, de bouteilles d'alcool, de parfum et de savonnettes.
Il n'était pas nécessaire de prévenir la côte de notre passage. Déjà au large, nous apercevions les barques plates des indigènes qui guettaient notre approche.
Suivant notre sillage, ils attendaient que le radeau soit posé délicatement par un treuil à la mer, et une course effrénée avait lieu car le principe de l'enjeu était que le premier qui touchait le radeau, et seulement celui-là, avait le privilège de s'occuper de l'acheminement du courrier, et bien évidemment de récupérer les cadeaux.
Une fois le radeau pris en main par le vainqueur, il était amarré à la barque, et revenant triomphant sur la plage, il ne lui suffisait que se rendre à la poste du village, de remettre le paquet contenant toutes les lettres que l'équipage avait écrites depuis le départ en Europe et nous étions assurés que la distribution serait faite.
De tout mon temps de navigation, jamais une seule lettre ne s'est perdue de cette façon.
au Cap* : Voir l’intrus.
Commentaires textes : Écrire
Ma vie de marin de commerce (Arthur)
Le rat Arthur |
Arthur
La mascotte
Les attentes d'embarquement dans les ports du bout du monde sont fréquentes, et nul ne s'en plaint car c'est autant d'heures de congés en plus qui nous sont payées.
Pour ce récit, il nous fallait attendre le lendemain que le S/T Magdala revienne du Golfe, ses cuves pleines. Le point de rencontre était Dar-es-Salaam, en Tanzanie. Comme toujours, l'agent de la compagnie nous avait logés à la meilleur enseigne/ hôtel et restaurant trois étoiles, nous ne pouvions tomber mieux.
Au repas du soir donc dans une salle de prestige (elle venait d'être refaite entièrement une bonne odeur de peinture en témoignait)/ les mets se succédaient servis par des garçons stylés, en habits de circonstance, la classe quoi.
Je ne sais plus qui l'aperçut le premier, mais par le trou d'une plinthe, dans un coin de mur, apparut un rat, pas une souris, un gros rat énorme qui, sans aucune crainte se faufilait entre les tables pour ramasser ça et là quelques miettes ou toute autre nourriture traînant par terre
Les clients forcés de le voir, n'avaient pas l'air choqués ni surpris d'une telle apparition en ces lieux. Apparemment, il n'y avait que nous que cela gênait. On se mit en devoir de chasser l'intrus, en formation serrée, tout le monde sus à la bête.
Mais rien de plus difficile que d'attraper un rat dans une salle de restaurant qui se faufile partout, et qui ne voulait surtout pas se laisser prendre. Il nous échappa prestement et se remit dans son trou. C'est lorsque nous avons commencé à vouloir faire le siège de son antre, que certainement alertée par les clients, une délégation de la direction vint nous ordonner de cesser notre chasse au rat.
Dans un français pas trop mauvais, on nous expliqua que l'animal en question était la mascotte des lieux, que tout le monde l'aimait bien, qu'il s'appelait Arthur, et que nous ne devions en aucun cas lui faire du mal, que l'on nous pardonnait car nous étions envoyés par une agence sérieuse, à qui le directeur ne voulait pas faire d'histoires.
Il suffisait de le dire, vive Arthur la mascotte.
Commentaires textes : Écrire